Lors de nombreuses expulsions, des militant-e-s sont présent-e-s sur le terrain en soutien aux personnes expulsées. Nous leur donnons la parole en publiant tel quel ces témoignages issus de Grigny puis de Champlan, en Essonne.

Grigny, le 4 avril 2017

« Bonjour,

Comme annoncé, ce matin à 10h, peloton de CRS (une trentaine!), services publics sociaux, Préfecture, élus de Grigny, associations (secours Pop et catholique de Grigny pour petits dej, sandwiches, etc), Rom Civic et une quinzaine d’autres bénévoles associatifs (CAR, ASEFRR, Colib’Ris) ou non étaient présents auprès des 25 familles (environ 120 personnes). Certaines autres étaient parties hier.
Le « grand jeu » dans le respect des règles et obligations. Toutes les familles ont été dirigées (en autocar) vers les hôtels de l’Essonne (hormis 2 en 95 et 2 en 77). 
Calme, respect, dignité, du bon boulot mais il n’en reste pas moins que les traumatismes psychiques des plus petits, la déscolarisation, la perte de nombreux biens difficilement acquis et détruits immédiatement par les pelleteuses (jouets, vaisselles, couvertures, poussettes, mobilier, etc.), les séparations de fratries, la très difficile réadaptation à un espace nouveau (pas moins de 14 hôtels et communes différents), demeureront gravés à vie dans la mémoire de chaque personne.
L’insertion passe également par l’appropriation d’un territoire : raté
C’est un départ avec chacun sa valise … comme pour partir en vacances ! tout le reste perdu !
A noter également que nombre de roumains sont venus porter assistance à leur parents et amis expulsés.
Pour quoi ? Pour se réimplanter d’ici quelques temps sur un autre terrain, déjà avant hier certains ont reconstruit en bas de Ris près de la RN7, les autorités n’ont pas attendu et ont déjà détruit les frêles cabanes !
Nous avons eu l’occasion de redire aux autorités ce scandaleux refus, que de placer 5 familles dans les algéco/logements libres de la Base de Vie de Ris.
Il se confirme que le campement de « Grigny gare » c’est pour dans le mois d’avril.
Qu’on ne se trompe pas, nous ne défendons pas les bidonvilles, ni même la « mise à l’abri » en hôtel très coûteux, nous demandons une véritable prise en compte d’une communauté en provenance d’un pays européen qui lui-même maltraite ses ressortissants au point que leur vie ne soit plus possible là bas.
Avec le recul (2012) nous mesurons les avancées, travail, scolarisation, protection sociale et santé, mises en conformité administrative, si de nombreuses familles sont entées dans le droits commun (bien que souvent dans la précarité), une grande majorité demeure toujours sur le bord de la route alors qu’elles sont prêtes pour y entrer.
Pour la généralisation de l’accès aux droits, un grand coup d’accélérateur et de justice sociale est nécessaire… ici comme ailleurs en d’autres domaines; s’il y a volonté politique.
Meilleurs sentiments, merci de nous lire.
Les Colib’Ris »

Champlan, le 7 avril 2017 
« Bonsoir,

Nous sommes enfin suffisamment reposés pour vous adresser le compte-rendu de cette journée du 6 avril, une énième évacuation à laquelle on ne s’habitue pas. Mais d’abord une grande nouvelle : la jeune maman a bien attendu le jour de l’expulsion -comme elle le prédisait en riant- pour accoucher à 4 H. du matin (à moins que ce soit ce petit bébé qui l’ait voulu !) un beau petit garçon est venu rejoindre son frère de 3 ans ce 6 avril.

Comme nous l’avions dit au dernier CA cette évacuation inévitable a été préparée en amont afin qu’elle se passe du mieux possible, nous avons tenu les familles au courant de chaque contact avec une autorité. Pour la première fois nous avons eu l’impression que tous les services avec lesquels nous avons pu être en contact cette dernière semaine (plateforme AIOS, mairie, sous-préfecture, DDCS, gendarmerie) souhaitaient que malgré la situation difficile qu’entraîne une évacuation, celle-ci prévue de longue date et dont tous les recours étaient épuisés, se passe dans la dignité.

Quelques chiffres pour rappel :
35 familles (un peu plus d’une centaine de personnes) étaient encore présentes sur les 3 terrains une semaine avant l’expulsion annoncée. Les 26 familles de ferrailleurs (90 personnes) sont parties le week-end précédent.
Le matin de l’évacuation 17 familles sur les 29 qui avaient demandé un hébergement, se sont présentées ; 3 familles ont refusé dans la journée les hôtels proposés.
Grand changement par rapport à la dernière expulsion vécue par ces mêmes familles en septembre 2013 à Wissous, seulement 3 familles avaient accepté un hébergement.

Ce matin, les familles qui souhaitaient un regroupement ont pu bénéficier d’un hébergement adapté à la composition de la famille. Certains de ces regroupements étaient prévus, d’autres ont pu être acceptés au dernier moment, certaines destinations ont pu être revues selon la demande ; ces changements ont été possibles puisqu’une 12aine de familles ne sont pas venues. La proposition de mise à l’abri est pour une semaine, les familles qui le souhaitent peuvent bien sûr demander la prolongation au 115 et éventuellement leur changement.

Comme promis la veille par le capitaine de gendarmerie qui dirigeait les opérations, c’est un petit nombre de policiers (par rapport à ce qu’on a connu) disséminés en petit groupe, qui était sur place ; et en tenue de policier, pas de « robocop » ni flasball.
Le seul incident a été qu’une jeune femme avec son petit de 14 mois a été empêchée de monter dans son véhicule car pas de siège pour l’enfant. La jeune ne voulait rien entendre, même si la sous-préfète comme le responsable de la plateforme et nous-mêmes tentions de la convaincre de la dangerosité pour son petit.

Du soutien pour les familles avec une huitaine de personnes de l’ASEFRR et 5 personnes d’Intermèdes.

Les moins et plus que moins :
– pas d’hôtel sur notre secteur (Massy, Longjumeau, Palaiseau, Chilly), le plus près Athis (pr une seule famille) contrairement à ce qui avait été dit les derniers jours ( peut-être hôtels complets après expulsions précédentes ?) ;
– peu d’hôtels attribué avec la possibilité de faire la cuisine ;
– des familles pourtant répertoriées avec enfants scolarisés ont eu des hébergements éloignés, Corbeil et même dans le 95 ; promesse de les rapprocher…
– pas de transport prévu malgré notre demande (transport à proximité bien utilisé par les familles nous a-t-on opposé). Aussi merci aux bénévoles et sympathisant de l’ASEFRR qui ont bien voulu assurer le transport de plusieurs familles. Plusieurs autres se sont débrouillées seules pour rejoindre leur nouveau lieu.

Cette évacuation n’a pas été des plus calmes, (là encore par rapport à ce qu’on connaissait), la proposition d’hébergement s’est faite correctement et dans le respect de tous même s’il a fallu faire face à quelques mécontentements exprimés de façon virulente par plusieurs personnes.
Nous avons quitté ce lieu de vie de 3 ans et demi non sans émotion et en partageant nos larmes avec les 2 dernières familles à accompagner.

En soirée toutes les familles (sauf 2 injoignables) nous ont dit leur satisfaction d’être hébergées même si, ont dit plusieurs d’entre elles, « c’est loin, la chambre est un peu petite, il n’y a pas de cuisine ou qqfois une petite cuisine commune », les remerciements ont compensé les invectives du matin.  On verra dans quelques jours si cette première impression positive perdure. Peut-être que plusieurs de ces familles pourront être accompagnées de façon suffisamment efficace pour qu’elles puissent s’engager si elles le souhaitent dans une démarche d’intégration. Nous restons en lien.

Les familles qui ne se sont pas présentées ou qui ont refusé la proposition d’hébergement s’étaient regroupées sur un nouveau terrain d’où elles ont été expulsées en fin d’après-midi, ni Pascal toujours dans le transport pour une famille, ni moi sur le retour de Champlan sans voiture n’avons pu nous rendre sur place ; seul Joseph a y aller pu mais les familles avaient déjà été refoulées hors du terrain.
Aucune famille n’a passé la nuit dehors -sauf un couple qui a préféré dormir sous la tente dans un parc- ; pour les autres la solidarité familiale a fonctionné, elles ont rejoint une parenté en appartement et certaines ont prévu de repartir en Roumanie prochainement. Plusieurs d’entre elles ont trouvé une autre place, peut-être bientôt une nouvelle procédure à entamer… si tout se passe bien, à leur demande nous gardons le contact.

La rentrée s’annonce compromise pour la plupart des enfants ; le retour à une scolarité ne pourra se faire avant quelques semaines, le temps de voir si leurs familles sont suffisamment stabilisées pour envisager une inscription dans une école à proximité de leur hébergement.

Encore une fois, pour beaucoup, tout recommencer.

Bonne journée,

Deux militant-e-s de l’ASEFRR «