Depuis plusieurs années, le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope tient à visibiliser les actions de médiation scolaire qui se mettent en place sur le terrain. Dans le rapport de 2017 « 20 propositions pour une politique d’inclusion des personnes vivant en bidonvilles et squats », le CNDH Romeurope recommande dans sa proposition n˚8 propose de « reconnaître et développer la médiation scolaire ». Lors des rencontres nationales du Collectif les 20 et 21 mai 2017,  il s’est dégagé des membres du Collectif une proposition qui franchit un pas supplémentaire : mettre la médiation éducative à l’ordre du jour des politiques publiques. La médiation éducative permet de faire le lien entre les problématiques scolaires et de protection de l’enfance pour les enfants touchés par l’exclusion.

Table des matières

Le constat de sa nécessité

La médiation éducative : combiner médiation scolaire et protection de l’enfance

Le cadre institutionnel : peu de reconnaissance et de moyens

Les médiateurs témoignent

Les actions concrètes

Quelques recommandations

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Le constat de sa nécessité

L’Éducation nationale échoue à assurer une égalité réelle entre les enfants vivant en squats et bidonvilles, particulièrement défavorisés, et les autres. Le Défenseur des droits s’inquiète à cet égard « du sort et de l’avenir d’un nombre élevé de jeunes qui quittent le système scolaire sans avoir acquis les compétences de base leur permettant de se préparer aux défis de leur vie »[1]. Selon l’étude du Collectif pour le droit des enfants Roms à l’éducation (CDERE) sur la scolarisation des jeunes de 12 à 18 ans vivant en bidonville, 67% d’entre eux ne sont pas scolarisés ou assidus. Sur l’ensemble des quelques 9000 enfants en bidonvilles, en squats ou à la rue, les chiffres de la non-scolarisation sont probablement bien plus élevés.

Baptiste Pascal d’Audaux, médiateur scolaire à l’ASET 93 témoigne, dans le rapport Interdits de cités du Mouvement du 16 mai, de l’accueil réservé aux enfants des bidonvilles qu’il accompagne dans les mairies pour s’inscrire à l’école :

« Les agents recevant le public sont plutôt sympathiques. Dans la plupart des mairies auxquelles nous avons affaire, ils ont des consignes concernant les enfants habitants en bidonville ou hôtel social. Certains ne connaissent pas la loi, et appliquent les consignes de leurs supérieurs, d’autres sont plus empathiques et sont gênés de refuser l’enfant. Une chose est particulièrement humiliante. Les agents refusent rarement de prendre le dossier d’inscription. Souvent les consignes données sont d’en référer à l’élu, avant de vous rappeler. Les élus savent que le refus est illégal. Donc ils préfèrent ne pas donner de réponse. Je trouve cette attitude particulièrement humiliante pour les parents. Non seulement on refuse votre enfant à l’école, mais en plus on n’a pas le courage de vous le dire »

En raison des expulsions de leur squat ou bidonville et des aléas de l’hébergement d’urgence, certains enfants qui avaient pu être scolarisés se retrouvent très loin de leur école, ce qui provoque des ruptures de parcours. Il arrive aussi que leurs papiers d’identité et carnets de vaccination soient perdus lors de l’expulsion ce qui complique les démarches à venir. En outre, l’impact traumatisant d’une et parents.

La scolarisation s’apparente donc souvent à un parcours du combattant :

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La médiation éducative : combiner médiation scolaire et protection de l’enfance

La médiation scolaire, par analogie avec la médiation en santé (reconnue par la loi « modernisation santé » du 26 janvier 2016 ), vise dans ce contexte à  faciliter la communication et la bonne articulation entre les différents acteurs impliqués dans la scolarisation des enfants, en premier lieu les familles et les enseignants.  Elle vise ainsi à prévenir ou aider à résoudre tout conflit ou incompréhension entre les acteurs, en plaçant l’intérêt de l’enfant au cœur du processus.

« Le médiateur travaille de manière équilibrée avec l’institution publique et la communauté. Il favorise la communication et la coopération entre eux, pour les aider à surmonter leurs différences culturelles et de statut. Dans cette relation, les deux parties sont considérées comme ayant des intérêts légitimes. Tous deux doivent prendre des responsabilités et s’engager dans un processus de changement sur lequel ils se sont mutuellement mis d’accord  ».  – European Training Programme for mediators

Cette définition générale de la médiation pose le principe d’être à l’interface entre un groupe ou une communauté et les institutions. Elle se décline ensuite en médiation sociale, sanitaire, scolaire, éducative… Si chaque type de médiation comporte des missions spécifiques, des ponts sont à faire entre ces différents champs de l’intervention sociale. D’autant plus que concrètement sur les terrains, ces différentes fonctions peuvent être remplies par la même personne, bénévole ou professionnelle ; et que pour certaines personnes, par exemple les adolescent-e-s vivant en bidonville, une médiation sur différents plans peut s’avérer pertinente. Par exemple, si ces dernier-e-s sont contraint-e-s au travail, ils peuvent bénéficier d’une médiation éducative en vue de leur scolarisation, en même temps qu’une médiation en santé, notamment sur sur les questions de prévention en santé sexuelle ou pour leur permettre un suivi de santé.

Une approche compréhensive des difficultés des enfants et adolescent-e-s vivant en habitat précaire nécessite une médiation éducative inclusive abordant la scolarisation en même temps que d’éventuels problèmes avec les parents, des comportements à risques, le repli sur soi, les difficultés matérielles, la mendicité, la délinquance, les mariages précoces… Cela afin de travailler à leur prise en charge à la fois par les familles et par les institutions.

Elle remplit donc une mission de protection de l’enfance, en accord avec l’article L112-3 du Code de l’action sociale et des familles : « la protection de l’enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs ».

C’est pourquoi la médiation éducative ainsi définie ne recoupe pas complètement les postes de médiateurs éducatifs ou pédagogiques reconnus par l’éducation nationale, en charge au sein de l’établissement scolaire de résoudre les conflits par le dialogue entre les différentes parties. Par exemple, dans le département des Hauts-de-Seine c’est un « dispositif de prévention des conflits au sein des collèges publics »

Le cadre institutionnel : peu de reconnaissance et de moyens

Il n’y a pas de définition précise ni de cadre reconnu en France pour la fonction de médiateur éducatif proposée à la fois comme médiation scolaire et protection de l’enfance. Les références existantes se trouvent plutôt au niveau européen, avec la production de référentiels et de standards par divers acteurs, dont le Conseil de l’Europe (outils disponibles sur le site : http://romed.coe-romact.org/fr)

De façon générale, les moyens disponibles pour la médiation éducative restent dérisoires par rapport aux besoins, compte tenu notamment du temps considérable qu’exige toute démarche d’accompagnement individualisé dans un contexte institutionnel souvent hostile envers des familles étrangères et précaires.

Ainsi, si la pratique professionnelle de la médiation scolaire existe depuis plusieurs années en France au sein de nombreuses associations ou institutions, c’est avec un degré de reconnaissance variable. On distingue la médiation effectuée dans un cadre associatif, consolidée ou non (les ASET, C.L.A.S.S.E.S à Lyon, L’école au présent à Marseille, Roms Action à Grenoble, le projet scolarisation des Enfants du canal en Île de France…), de formes plus reconnues et institutionnelles à Lille, Montpellier et Bordeaux. Ces projets institutionnels restent très épars et aléatoires en fonction des territoires et volontés politiques.

Certaines communes ont débloqué un demi-poste d’éducateur, comme Villeneuve d’Ascq dans le Nord. L’action a été financée par le département dans le cadre d’un Dispositif de Réussite Educative (DRE) mais a été supprimée pour coupes budgétaires fin 2016.

L’académie de Montpellier abrite un poste entier sur lequel il importe de se pencher.

Via le projet Connexions le CASNAV, avec le GIP-Formavie, cofinance ce projet grâce au Fonds Social Européen dans le cadre des « chantiers prioritaires du programme académique » que sont la « scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers » et la « lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaire ». À Montpellier, c’est donc une stratégie coordonnée entre tous les partenaires institutionnels, publics et associatifs concernés qui a permis une mise en œuvre efficiente de la médiation scolaire. La première année de mise en œuvre du projet a donné des résultats encourageants, en termes d’inscription scolaire, d’assiduité et de savoirs acquis (pour en savoir plus, « 20 propositions pour une politique d’inclusion des personnes vivant en bidonvilles et squats », page 50). Néanmoins l’absence de financement pérenne hors financement européen fait craindre un arrêt de ce travail qui a permis d’enclencher une réelle dynamique locale autour de la scolarisation, tant du côté des institutions que des familles.

Les médiateurs témoignent

Le poste à l’académie de Montpellier décrit ci-dessus est occupé par Julien Radenez, qui a été médiateur social au sein de l’association Parada d’aide aux enfants roumains et enseignant en camion-école. Il parle le roumain et le romani. Depuis un an, il intervient dans les huit bidonvilles montpelliérains, auprès de 350 enfants. Sa position au sein du CASNAV lui facilite le travail avec les institutions administratives et scolaires.

Il explique : «  Je suis l’interface entre la famille et l’institution. Je sensibilise à l’intérêt de l’école et j’informe sur le fonctionnement du système éducatif français. J’accompagne l’élève et ses parents dans le parcours scolaire. Je souhaite que tous poursuivent leurs études jusqu’à l’obtention d’un ou plusieurs diplômes. Je me préoccupe également d’améliorer l’autonomie des personnes, afin de ne pas créer de dépendance à la médiation ».

À Bordeaux, un ancien militant associatif a été embauché par l’Education nationale comme médiateur scolaire en 2012-2013. Il était en lien avec deux médiateurs et médiatrices de la ville et de la métropole ainsi qu’avec les enseignants. Son témoignage est disponible ici sous forme de questions-réponses avec des internautes.

En voici un extrait : « Mon action est évaluée par mon supérieur hiérarchique, c’est à dire l’inspecteur de l’Education nationale de ma circonscription. Régulièrement, je fais des rapports d’activité et je suis souvent en contact avec les inspecteurs concernés afin de les tenir informés de la situation.

Au début, je ne faisais que les démarches administratives, c’est à dire l’inscription à l’école. Je me suis vite rendu compte que cela ne suffisait pas. Aujourd’hui, je me centre beaucoup plus sur la scolarité, en accompagnant le plus possible les familles et les enfants concernés. »

En Seine Saint-Denis, l’ASET 93 (association d’aide à la scolarisation des enfants tsiganes) a été à l’origine de la création d’antennes scolaires mobiles (ASM). Aujourd’hui, des enseignantes de l’éducation nationale rattachées à un groupe scolaire sous contrat privé font classe au plus près des bidonvilles pour faire office de passerelle vers l’école. Ces ASM interviennent deux fois par semaine pendant trois mois par élève afin de le préparer à l’entrée dans l’école. Leur action se fait en étroit partenariat avec deux médiateurs, appuyé par deux volontaires en service civique de l’ASET 93. Ils sont ensemble lors de leur prise de connaissance avec les familles, puis les médiateurs prennent le relai pour l’accompagnement dans les démarches administratives (domiciliation, vaccins, inscription…) et le suivi une fois les enfants scolarisés. Dans cette émission de France Culture, « En France, les enfants roms privés d’école », ils témoignent des difficultés de leur travail dans un contexte à la fois d’expulsion à répétition :

« On se régale dans ce travail avec ces enfants, mais la difficulté c’est que les expulsions nous obligent à chaque fois à tout recommencer à zéro ». (Clélia Chopinaud, enseignante de l’Antenne Scolaire Mobile)

Et de racisme anti-roms :

« Il faut bien se rendre compte que s’il y a un racisme qui dépasse tous les clivages politiques en France c’est bien le racisme anti-Roms. Ce racisme politisé à l’extrême en 2010 est aujourd’hui présent partout. Les Roms ne sont pas considérés simplement comme des pauvres mais comme des pauvres dangereux. » (Baptiste Pascal d’Audaux, médiateur de l’ASET 93)

Face à ce racisme, une médiation spécifique peut être mise en place, comme le décrit la médiatrice Slavka Stefanova, elle-même rom, dans une vidéo de la Faset (Fédération des associations de scolarisation des enfants tsiganes). Ce cycle de vidéos pédagogiques est à voir à ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=gPRkDf9VEZU&t=3s

Les actions concrètes

L’objectif cadre est l’« empowerment », c’est-à-dire l’amélioration de l’autonomie des personnes pour permettre le renforcement de leur pouvoir d’agir.

  • Expliquer aux parents le fonctionnement du système scolaire et l’importance de l’éducation et de l’apprentissage du français pour pouvoir trouver un travail, tout en discutant avec eux sur des possibles craintes concernant les prétentions assimilatrices de l’école. À Montpellier, ce travail prend la forme d’ateliers d’aide à la parentalité ou d’ateliers sociolinguistiques à la fois dans les bidonvilles et les établissements scolaires. Ils sont organisés en langue roumaine ou en romani, pour permettre une expression plus facile des parents.
  • Aider les familles dans leurs démarches administratives, effectuer un travail de facilitation avec tous les acteurs concernés (mairies et services de l’éducation nationale, parents, professeurs, directeurs d’école, personnels des centres de santé, des PMI et des centres de loisirs, etc.). À Montpellier, le conseil départemental organise un déplacement des services de la PMI sur les terrains ainsi qu’un accompagnement physique des personnes vers la PMI.
  • Repérer les enfants en danger, traiter le conflit parents-enfants par le dialogue, éviter au maximum le recours au placement sous tutelle administrative ou juridique séparant l’enfant de sa famille. Le cas échéant, signaler une information préoccupante au conseil départemental ou au parquet des mineurs (voir le schéma du ministère) en vue d’une protection administrative ou judiciaire du mineur tout en continuant à accompagner la famille.
  • Mettre en place des actions éducatives auprès des enfants et adolescents, par un suivi personnalisé. Dans l’article Défense et illustration des activités de médiation éducative, Nadine Chaïb (chef du département action éducative à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse) soutient que « L’action éducative, c’est l’accompagnement, la transmission de savoirs et de valeurs mais c’est aussi laisser entrevoir aux jeunes d’autres « possibles », […] faire en sorte qu’il adhère à une pratique en fait un acteur de sa vie, de sa culture, de son histoire et lui laisse entrevoir un avenir possible ».

Toutefois, chaque inscription, chaque suivi personnalisé et chaque soutien administratif ou scolaire demande des journées entières de travail, rendant de fait illusoire toute prétention de répondre à l’ensemble des besoins rencontrés sur le terrain. Ces actions concrètes dépendent du statut des médiateurs, des moyens à la fois financiers et humains dont ils disposent.

Quelques recommandations

  • Développer la médiation éducative au sein même des académies, soit un plaidoyer pour sa reconnaissance et son financement publics. Cela permettrait de gagner en moyens, en légitimité et en efficacité par rapport à une action associative, par exemple pour contrer un refus d’inscription de la part d’une mairie. De nombreuses associations (ex : les apprentis d’Auteuil) font déjà ce lien entre protection de l’enfance et éducation, il importe désormais de se réunir en partenariat avec les départements (en charge de la protection de l’enfance), et l’Etat (les préfectures, en charge de la scolarisation), pour une réunion de projet de développement de la médiation éducative.  Exemple d’interlocuteur : le Casnav, qui fait le repérage des enfants par des tests et organise l’implantation des classes UPE2A, est à inclure dans ce projet de médiation éducative.
  • Faire connaître la médiation éducative, communiquer sur son importance : voir le cycle de vidéos de la Faset cité plus haut, et le rapport du CNDH Romeurope « 20 propositions pour une politique d’inclusion des personnes vivant en bidonvilles et squats (proposition n°8, page 49)
  • Désamorcer les explications culturalistes : la non-scolarisation des enfants n’est pas un « trait culturel des Roms » mais est liée aux nombreux obstacles rencontrés malgré la volonté des familles. Ces obstacles ont été documentés dans de nombreux rapports (https://www.romeurope.org/nos-publications/)
  • Prendre en compte les spécificités des filles et les garçons à partir de 12 ans dont la déscolarisation peut être dûe à des raisons différentes liées à l’apprentissage des rôles genrés (tâches domestiques, activité économique…), aux mariages précoces et à d’autres facteurs différenciés.
  • Mettre en place une médiation éducative sur la durée, à même d’instaurer un lien de confiance et des réussites éducatives et scolaires. Cela nécessite pour les personnes d’avoir un domicile digne qui n’est pas soumis à des expulsions incessantes.

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[1] Défenseur des Droits, rapport droits de l’enfant 2016, « Droit fondamental à l’éducation : une école pour tous, un droit pour chacun », p.8, cité en p.49 du Rapport 2017 du CNDH Romeurope, en tête de la proposition 8 : « Reconnaître et développer la médiation scolaire »