Les membres du CNDH Romeurope se mobilisent avec et pour les personnes originaires d’Europe de l’Est étant en situation de grande précarité et vivant dans des bidonvilles, des squats ou d’autres lieux de survie en France. Une grande majorité d’entre elles a migré depuis la Roumanie et la Bulgarie et se désigne comme Rom. En 2016, la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) estime qu’elles sont entre 15 000 et 17 000 personnes à vivre dans des bidonvilles ou grands squats, ce chiffre est stable depuis le premier recensement en 2012.

« Tsiganes », « Roms », « Gens du voyage » et « habitants des bidonvilles » : les termes sont souvent utilisés de manière confuse. Nous tenterons de clarifier certains éléments, mais il faut garder à l’esprit que les catégories employées ne sont pas figées et les personnes ainsi regroupées ont des façons variées de s’auto-identifier. La construction des catégories faisant elle-même débat dans les sphères scientifique et politique, la question « Qui sont les Roms en France ? » ne peut avoir une réponse unique et objective. Nous livrons ici un point de vue documenté qui invite à une réflexion sur l’objectif poursuivi par l’usage de l’un ou l’autre des termes.

 

 En savoir plus :

Qui sont les habitant-e-s des bidonvilles en France ?

Qui sont les Roms en France ?

Qui sont les Gens du voyage ?

Quels termes employer en vue de quels objectifs ?

 

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Qui sont les habitant-e-s des bidonvilles ?

On constate une hétérogénéité de parcours et d’aspirations des personnes présentes dans les squats et bidonvilles. La majorité des habitants des bidonvilles est de nationalité roumaine, mais on y rencontre également des Bulgares ou des ressortissants d’ex-Yougoslavie. Parmi ces personnes, une majorité se reconnaît comme appartenant à une culture rom.

Dans certains départements et notamment le Pas-de-Calais ou en Outre-mer, des bidonvilles sont habités par des ressortissants de pays tiers (Afrique, Moyen-Orient…). Le postulat qui tend à faire croire que tous les Roms vivent en bidonvilles ou que tous les bidonvilles sont habités par des Roms est évidemment inexact et participe à renforcer le poids des représentations. Il importe de replacer les bidonvilles dans l’histoire migratoire en France, en particulier lorsqu’au milieu des années 1960 les pouvoirs publics estiment à environ 100 000 personnes le nombre d’habitants des bidonvilles. Ils étaient alors Algériens, Portugais, Espagnols, Français…

La reformation de bidonvilles dans les années 1990 est liée à plusieurs événements dont la chute des régimes communistes en Europe de l’Est puis à la guerre en ex-Yougoslavie, qui mènent de nombreuses personnes rechercher une vie meilleure en Europe de l’Ouest. Quand ils arrivent en France, la saturation du marché du logement et des dispositifs d’hébergement explique la solution de l’habitat précaire en squat et en bidonville. Ce type d’habitat résulte donc d’une précarité matérielle et non d’un mode de vie lié à un prétendu nomadisme.  On observe une migration familiale due principalement à la levée des barrières aux frontières pour les citoyens européens plutôt qu’à un trait culturel.

Aujourd’hui, selon la DIHAL, entre 15 000 et 17 000 personnes vivent en bidonvilles ou grands squats. Selon une récente étude de l’association Trajectoires, les personnes y vivent en moyenne cinq ans. Certaines personnes en sortent très rapidement, car elles parviennent à trouver du travail et un logement, grâce à un accompagnement social ou en entrant dans l’hébergement. En revanche on constate un cercle vicieux pour les personnes qui y restent longtemps, avec parfois un découragement et un repli sur elles-mêmes, ainsi qu’une installation dans l’errance et la débrouille.

Pour plus d’infos :

www.25ansbidonvilles.org

« Du bidonville à la ville : vers la vie normale », association Trajectoires, 2016

Olivera, Martin. Roms en (bidon)villes. Quelle place pour les migrants précaires aujourd’hui ? Éditions Rue d’Ulm, 2011

 

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Qui sont les Roms en France ?

Il n’existe pas une seule définition des Roms en France ou dans le monde. L’auto-identification est un critère essentiel pour définir qui est Rom et qui ne l’est pas.

Le terme « Rom », officiellement adopté par l’Union européenne (UE) et le Conseil de l’Europe et utilisé au sens générique, a été choisi à l’occasion du premier congrès mondial rom en 1971. Il signifie « homme accompli » en langue romani.  Cette appellation endonyme (d’un groupe qui se désigne dans sa propre langue) a notamment pour but d’écarter des termes attribués de l’extérieur comme « tsigane » et à connotation péjorative comme « romanichel ». Jusqu’en 2006, le Conseil de l’Europe employait l’expression « Roms/Tsiganes », mais le terme « Tsiganes » a été écarté à la demande des associations roms internationales du fait de la charge historique dont il est porteur (terme qui renvoie à la période des persécutions et à l’extermination des Roms  lors de la 2nde guerre mondiale) et des stéréotypes qu’il véhicule. En France, la connotation péjorative du mot « tsigane » est moins forte et il reste utilisé pour désigner différents groupes qui ont en commun de ne pas être « gadjé »

Il est aujourd’hui d’usage de distinguer trois groupes principaux parmi les 10 à 12 millions de Roms européens, suivant les noms qu’ils se donnent eux-mêmes : les « Roms» (Roumanie, Bulgarie, Grèce, Hongrie, Slovaquie, Serbie, Kosovo), les « Sintés » et « Manouches » (France, Allemagne, Italie), les « Gitans » et « Kalés » (France, Espagne, Portugal). Selon les historiens, la variété des appellations est le reflet de la diversité des populations concernées, ainsi que des représentations dont elles font l’objet dans les sociétés au sein desquelles elles vivent depuis plus de 600 ou 800 ans.

Unifier ces différents groupes sous le nom commun « Roms » s’inscrit dans le projet politique du congrès mondial Rom  de 1971, à l’occasion duquel un hymne et un drapeau sont choisis. L’unité linguistique joue un rôle crucial dans ce projet. Le récit de l’origine indienne de la langue romani participe à construire une culture et une histoire commune depuis la migration hors de l’Inde il y a plus de 800 ans.

L’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont conservé cette définition large de ce que sont les Roms et des politiques publiques les concernant sont construites sur cette base. La Commission européenne a par exemple a posé un cadre pour les stratégies nationales d’intégration des Roms pour la période allant jusqu’à 2020.

Cependant, en France, il n’existe pas de chiffre officiel sur le nombre de Roms car la France ne reconnaît pas les minorités ethniques présentes sur son sol ni dans sa loi ni dans sa constitution. Selon le Conseil de l’Europe, il y aurait environ 400 000 Roms en France. Une grande majorité d’entre eux est française depuis des générations.

Les Roms qui vivent en habitat précaire en France viennent principalement de Roumanie, de Bulgarie, et de pays d’ex-Yougoslavie. Ils sont sédentaires. C’est en raison d’une politique quasi-systématique d’expulsion que les habitants des bidonvilles ou squats sont contraints de se déplacer pour trouver un nouveau lieu de vie (voir la rubrique « Expulsions » dans la thématique « Habitat » de notre site internet).

Pour plus d’infos :

Olivera, Martin « Introduction aux formes et raisons de la diversité rom roumaine », Études tsiganes, n° 38, 2009

Liégeois, Jean-Pierre, Roms et Tsiganes, La Découverte, 2009

Conseil de l’Europe, Glossaire terminologique raisonné du Conseil de l’Europe sur les questions roms, mai 2012, https://rm.coe.int/1680088eaa

 

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Qui sont les Gens du voyage ?

« Gens du voyage » est une catégorie administrative désignant les personnes vivant en résidence mobile (véhicule, remorque ou tout abri mobile), les regroupant selon l’habitat et non l’appartenance ethnique. En grande majorité français, ils peuvent être itinérants et/ou ancrés sur un territoire. Ils ont fait l’objet d’une politique publique spécifique qui visait historiquement les « nomades ». La loi 1969 créé le statut « Gens du voyage »  avec obligation de détention d’un livret de circulation, d’une commune de rattachement, et d’une élection de domicile. Cependant, la loi « égalité et citoyenneté » du 29 janvier 2017 abroge les dispositions relatives aux titres de circulation (livrets spéciaux de circulation et livrets de circulation) et à la commune de rattachement. Les communes, quant à elles, sont assujetties à l’aménagement d’aires d’accueil pour l’habitat en caravanes des « gens du voyage ».

On observe un amalgame courant entre « Roms » et « Gens du voyage », tel qu’il a pu être entretenu par le discours de Grenoble du président Sarkozy en 2010.

  • Parmi les Gens du voyage une partie se reconnait comme Gitan ou Manouche, donc « Rom » au sens de l’Union Européenne. Ils représentent une petite partie des « Roms » en Europe.
  • La catégorie administrative Gens du voyage englobe aussi d’autres populations sans la même appartenance ethnique : yéniches, travailleurs saisonnier habitant en camion, personnes retraitées en camping-car, etc.

Si l’habitat en caravane se retrouve chez les deux groupes, il ne revêt pas la même signification pour les personnes. Chez les gens du voyage, la revendication de la vie en caravane est centrale en ce qu’elle rend possible une mobilité par périodes en même temps qu’un ancrage dans un territoire. Chez les personnes dites Roms qui sont sédentaires, la caravane est parfois un abri de fortune palliant les difficultés d’accès au logement.

En somme, tous les Roms ne sont pas des « Gens du voyage » et tous les Gens du voyage ne sont pas « Roms » (ni Manouches, Sintés, Gitans…)

 

Pour plus d’infos :

le dossier de la FNASAT

le rapport 2017 de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, p.291 et p.373

Voir un article sur la loi de 1912 sur les « nomades » : https://remi.revues.org/4179

 

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Quels termes employer en vue de quels objectifs ?

Lorsque le CNDH Romeurope parle des personnes présentes en France originaires d’Europe de l’Est étant en situation de grande précarité et pouvant vivre dans des bidonvilles, des squats ou d’autres lieux de survie, il ne s’agit en aucun cas de nier une appartenance à une minorité ou à une culture, mais bien d’inscrire son action dans le droit commun.

Utiliser le terme de « bidonville » vise à inscrire cet habitat précaire dans ses dimensions urbaine, sociale, économique et historique. Au contraire de l’expression « campement illicite », souligne le caractère éphémère de l’installation de personnes parfois présumées nomades et appelle à une réponse répressive plutôt qu’inclusive. Ce choix de vocabulaire permet de resituer les habitants des bidonvilles actuels dans l’histoire des migrations en France, en même temps que de refuser une approche uniquement ethnique de la question. Le CNDH Romeurope lutte donc contre la politique publique d’expulsion justifiée par l’imposition d’une identité ethnique stigmatisante selon laquelle « les Roms ne peuvent pas s’intégrer ».

La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) souligne que « la référence au terme de « Roms » comporte un risque de catégorisation, et qu’au motif légitime de lutter contre les discriminations dont ces populations sont victimes on risque de les assigner à des identités homogènes et prédéterminées, sans aborder les problématiques dans toutes leurs diversités. Cependant, si la terminologie de « populations vivant en bidonville » est défendue par la CNCDH dans le cas d’une violation répétée des droits (indépendamment de l’identité ethnique ou culturelle), le terme de « Roms » demeure nécessaire quand l’exclusion de ces populations est abordée sous le prisme de l’intolérance, du racisme et des discriminations. »

Le CNDH Romeurope partage cette approche, c’est pourquoi le terme « Roms » est aussi utilisé dans ses publications pour dénoncer les préjugés, le racisme et les discriminations anti-roms, issues d’un anti-tsiganisme pluri-séculaire.

En somme, ce sont plus les politiques publiques, les discours et les pratiques, qu’une homogénéité culturelle voire ethnique, qui ont construit la « question rom » et que le CNDH Romeurope s’attache à déconstruire.

Pour plus d’infos :

Le rapport 2017 du CNDH Romeurope, « Vingt propositions pour une politique d’inclusion des personnes vivant en bidonvilles et en squats »

Le rapport d’observatoire 2014 du CNDH Romeurope, « Le droit et les faits »

Le dossier thématique « Roms » de la CNCDH et le rapport 2016 de la CNCDH sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie

Fassin É., Fouteau C., Guichard S., Windels A., 2014, Roms et riverains. Une politique municipale de la race, Paris, La Fabrique éditions, 227 p.

Olivera, Martin. « La fabrique experte de la « question rom » : multiculturalisme et néolibéralisme imbriqués », Lignes, vol. 34, no. 1, 2011, pp. 104-118.