La France condamnée par le CEDS concernant la scolarisation d’enfants Roms vivant en bidonville

Le 5 décembre 2017, le Comité européen des droits sociaux (CEDS), comité d’experts indépendants chargé de veiller à l’application de la Charte sociale européenne par les Etats -partie, a reconnu la violation par la France de l’article 17 de la Charte qui oblige les Etats à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la scolarisation des enfants et des adolescents et la régularité de la fréquentation scolaire. Il reconnait également les discriminations subies par les enfants roms concernant outre la scolarisation, l’accès à un logement d’un niveau suffisant (article 31), le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale (article 31) et le droit des enfants et des adolescents à une protection sociale, juridique et économique (article 17), discriminations fondées sur leur origine ethnique.

Réclamation du FERV : 

Cette décision du CEDS fait suite à une réclamation déposée en 2015 par le Forum européen des Roms et des Gens du Voyage (FERV) qui dénonçait le manquement de la France à son obligation de scolarisation en raison de l’exclusion de la scolarisation obligatoire des enfants et des adolescents roms du fait de l’instabilité permanente liée à l’habitat précaire et à leurs conditions de vie. Le FERV constatait que cette carence de la France était principalement liée aux expulsions à répétitions et aux conditions de vie précaire.

Raisonnement du CEDS :

Dans son raisonnement juridique, le Comité européen des droits sociaux, s’est notamment appuyé sur les éléments suivants pour reconnaitre le manquement de la France à son obligation de scolarisation des enfants roms, qu’il lie avec les expulsions :

les expulsions fréquentes des familles ne permettent pas d’offrir un cadre sécurisant pour l’accès à la scolarisation des enfants : or pour que ce droit soit mis en œuvre de manière concrète et effective, il est essentiel que soit garanti un environnement général propice à la scolarisation tel que le stabilité des parents et des familles dans des logements de qualité, des facilités d’accès aux établissements scolaires tels que la proximité des transports …

– les décisions d’expulsions ne sont pas suffisamment assorties de mesures qui permettraient de réduire l’impact sur  les enfants concernés et leurs familles : dialogue préalable avec les personnes concernées, informations données aux personnes concernées sur la date de l’expulsion, octroi de délais avant de quitter les lieux, consultations sur les possibilités de relogement, garanties de recours contre les décisions…

– dès lors que l’une ou l’autre de ces garanties n’est pas vérifiée dans chaque circonstance, l’insécurité des expulsions met en danger l’application du droit à l’enseignement du fait des complications et difficultés qu’engendrent inévitablement les expulsions. Le Comité précise que les décisions successives d’expulsion dans un laps de temps court multiplient les difficultés pour les groupes concernés et empirent leur situation et conditions de vie. Elles contribuent à l’instabilité permanente qui à son tour, compromet la scolarité.

La contribution du Défenseur des droits :

Le Comité s’est notamment appuyé sur les observations présentées par le Défenseur des droits à l’occasion de cette décision. Celui-ci rappelait à ce titre le bilan sur l’application de la circulaire interministérielle du 26 août 2012 réalisé par l’institution en 2013 et qui reconnaissait déjà que « les conditions juridiques et matérielles dans lesquelles les expulsions sont effectuées ne sont pas suffisamment respectueuses des droits des personnes visées ». Le Défenseur des droits pointait aussi l’absence dans de nombreuses situations de diagnostic global et individualisé des familles afin de leur garantir un hébergement provisoire mais aussi de leur assurer une continuité dans l’accès aux droits, et notamment la scolarisation. Il constatait également la fragilité du droit des enfants roms à l’instruction, qui bien souvent n’est pas effectif.

Par ailleurs, le FERV alléguait également la violation par la France de l’article 10 garantissant le droit à la formation professionnelle et particulièrement son manquement à assurer des mesures appropriées et facilement accessibles en vue de la formation des travailleurs adultes, comme l’octroi d’une assistance financière. L’organisation invoquait ainsi les difficultés d’accès « à toute proposition d’alphabétisation » et à la formation professionnelle des jeunes adultes mal adaptées aux circonstances d’expulsions et l’insuffisance d’aides financières à la formation qui ne permettent pas d’assumer les charges de la famille. Si le CEDS reconnaît que les expulsions répétées, le manque d’information et les éventuelles discriminations concernant l’octroi d’aides financières ne favorisent pas l’accès à la formation professionnelle, il ne reconnaît pourtant pas à la violation de l’article 10 (droit à la formation professionnelle) justifiant cette décision par des difficultés trop peu étayées par le FERV qui ne permettent pas de conclure au manque de mesures mises en œuvre par la France pour garantir la formation professionnelle.

Les apports de la décision :

En reconnaissant en outre que « la situation des enfants et jeunes adultes de la communauté rom en France et le traitement qui leur est réservé conduit à des effets gravement dommageables à leur égard » et en reconnaissant la carence de la France en matière de scolarisation des enfants roms liée aux expulsions,  le Comité rappelle ainsi les (graves) manquements de la France à ses obligations non seulement internes mais aussi européennes.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que le Comité insiste dans cette décision sur le fait que la simple existence d’une législation française protectrice comme se justifiait le gouvernement français en invoquant l’obligation de scolarisation pour tous les enfants entre 6 et 16 ans, ne suffit pas si elle n’est pas suivie d’une application « effective et rigoureusement contrôlée » de l’égalité d’accès à l’éducation pour tous les enfants, en accordant par ailleurs une attention particulière aux groupes vulnérables.