Par un arrêt rendu le 4 juillet 2019, la Cour de cassation refuse de mettre en balance le droit de propriété avec le droit à la protection du domicile des occupants de terrains ou de squats.

La Cour juge que « l’expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l’occupant, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété. »

Elle renie ainsi sa propre jurisprudence et s’oppose frontalement à la Cour européenne des droits de l’homme. Les personnes vulnérables  contraintes de vivre en bidonville ou en squats  – et parmi elles nombre d’étrangers et étrangères – feront les frais de cette volte-face rétrograde qui, aveugle à toute autre considération, entend rétablir une prééminence absolue du droit de propriété.

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« Droit à un habitat » – fut-ce un simple abri – face au droit de propriété, le combat est aujourd’hui trop inégal : la Cour de Cassation n’a d’yeux que pour les intérêts des propriétaires (le plus souvent publics) de terrains et bâtiments inoccupés, fermant la porte aux combats que mènent chaque jour les personnes précaires de tous horizons délaissées par les pouvoirs publics et réprimées jusque dans leurs recherches de solutions alternatives à la vie dans la rue.

Elle s’est ainsi ralliée à ceux qui s’offusquent de voir reconnaître des droits à des personnes dans l’errance : personnes Roms ou perçues comme telles, migrants dits « économiques », demandeurs et demandeuses d’asile « dublinés » et la multitude des sans-abri dont les politiques publiques, devenues imperméables au principe de solidarité, grossissent sans cesse les rangs… … Il n’est plus question, pour le juge, que les droits fondamentaux puissent faire obstacle à leur expulsion, à la destruction de leurs abris, tentes ou caravanes et à leur renvoi dans la précarité maximale : le triomphe d’une justice de classe.

Nos associations continueront leur combat pour les droits des personnes les plus précaires et se réservent de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Signataires :    – Collectif National Droits de l’Homme Romeurope

                        – Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI)

                        – Ligue des droits de l’Homme (LDH)

Contact :         Patrick Henriot : 06 98 87 74 78

Pour aller plus loin :                                                                                … / …

La Cour de cassation était saisie d’un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 19 octobre 2017 qui avait ordonné l’expulsion des familles occupant un terrain en friche dont les propriétaires invoquaient un vague projet de hangar à bateau. La Cour d’appel avait notamment refusé de prendre en compte les actions menées par une association, mandatée par la préfecture de l’Hérault, en soutien des habitants du bidonville sur trois axes : la scolarisation des enfants, l’intégration socio-professionnelle des parents et la médiation santé des familles. Ces actions se traduisaient déjà pourtant par la scolarisation de tous les enfants, l’intégration des adultes dans des dispositifs de formation ou d’accès à l’emploi et des démarches d’accès au logement, et ce afin de sortir définitivement de la vie en bidonville.

La question posée par ce pourvoi en cassation était celle de l’étendue de la mission et des pouvoirs du juge des référés saisi d’une demande d’expulsion des occupants d’un terrain ou d’un squat, sachant que le droit au respect du domicile – et donc à sa protection – que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme reconnaît à ces occupants s’oppose au « droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » que l’article 544 du code civil attribue sans nuances aux propriétaires.

Pour guider les juges saisis de ces demandes d’expulsion, la Cour européenne des droits de l’homme a tracé quelques lignes directrices et fixé un principe essentiel. Considérant que « la perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile« , elle a jugé que « toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir faire examiner la proportionnalité de cette mesure par un tribunal indépendant« . Elle ajoute que lorsque des arguments relatifs au droit à la protection du domicile sont invoqués devant ce tribunal, il doit « les examiner en détail et y répondre par une motivation adéquate« 

[1].

Cet examen comparatif de la gravité des conséquences – de l’occupation de son bien pour le propriétaire et de la perte de leur domicile pour les occupants – constitue donc le coeur de la mission du juge saisi de la demande d’expulsion. Une jurisprudence s’est ainsi progressivement construite, dégageant toute une série d’éléments de fait que les juges peuvent retenir pour caractériser l’importance des atteintes aux droits invoqués de part et d’autre, l’essentiel étant qu’ils consacrent à cet examen de proportionnalité toute l’attention nécessaire.

Retenant les leçons de la Cour européenne, la Cour de cassation s’était elle-même résolue à sanctionner la Cour d’appel qui ordonnait une expulsion « sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile » des occupants[2].

C’est à cette conception équilibrée de la recherche des intérêts à protéger qu’elle a néanmoins brutalement tourné le dos. En affirmant maintenant ex abrupto que l’atteinte au droit à la protection du domicile résultant d’une expulsion « ne saurait être disproportionnée« , elle dispense a priori les juges de tout examen de proportionnalité et les invite du même coup à ordonner aveuglément les expulsions demandées, quelles que soient les circonstances (terrain inexploitable ou absence de projet d’aménagement, familles accompagnées par des associations, enfants scolarisés, projets d’insertion …).


[1]     Winterstein et autres contre France, 17 octobre 2013, n° 27013/07

[2]     17 décembre 2015, n° 14-22095

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