Trajectoires – Habitants des bidonvilles – Connaissance des parcours et accès au droit commun

Entre 20013 et 2016, les deux sociologues de l’association Trajectoires ont enquêté dans dix bidonvilles sur quatre territoires différents, sur un échantillon de 245 ménages soit 899 personnes : cette étude sur 5-7% de la population vivant en bidonville est d’une ampleur inédite.

Les auteurs posent d’abord la question de la spécificité de la migration des personnes vivant en bidonvilles et des raisons de leur départ. Si 98% sont de nationalité roumaine et 2% bulgare, si 90% se déclarent roms, les auteurs expliquent qu’il ne s’agit pas d’une culture de la migration ou d’un nomadisme rom mais de facteurs socio-économiques de migration, surtout externes aux personnes. Les auteurs soulignent, comme facteurs externes, les conditions d’accueil des pays de destination, les besoins en main-d’oeuvre, le faible coût du transport et l’absence de barrières administratives. La migration peut donc être familiale, 2/3 des personnes sont venues avec enfants. Ainsi, lorsqu’on demande aux personnes : « pourquoi avez-vous choisi de migrer en famille dans des conditions d’habitat en France aussi précaires », les principales raisons évoquées par les intéressés sont d’ordre matériel : « on vient pour assurer un avenir meilleur à nos enfants », « en Roumanie il n’y a aucun débouché pour nous », « on n’arrive plus à faire face aux dépenses quotidiennes ».

Les auteurs dégagent ensuite plusieurs profils de migrants, selon les motifs de leur migration (raisons économiques, discriminations, situation local…) et leur territoire d’origine. En effet, les explications avancées sont surtout locales car à l’échelle macroéconomique la population stable vivant en bidonville en France, de 15 à 20 000 personnes, est très largement inférieure aux 5,5 millions de pauvres (au sens de la Banque mondiale, sous le seuil de pauvreté) en Roumanie : il n’y a donc pas de corrélation directe entre pauvreté et émigration, ni entre faible niveau scolaire ou absence de qualification et décision d’émigrer.

En revanche, des processus locaux depuis les années 1990 comme les « ghettoïsation et dégradation brutale de l’environnement », « ostracisme et marginalisation », « tradition d’indépendance et fonctionnement communautaire », permettent de contextualiser les raisons du départ et la typologie des différents types de migrants, « économiques », « exilé », « ostracisés », « autonomes », et « autres ».

Les auteurs détaillent ensuite les conditions de vie et l’organisation dans les bidonville en fonction du type de migrants y vivant, analysant le caractère payant de certains bidonvilles et le risque de maltraitance et de traite des êtres humains en lien à l’endettement de certains ménages envers d’autres.

L’accès au droit commun (domiciliation, santé, scolarisation) et l’insertion socioprofessionnelle complètent le tableau. Si 73% des personnes ont une domiciliation, les auteurs notent de fortes disparités territoriales et de nombreux refus par les CCAS, d’où 60% de domiciliation associative, souvent dans une autre commune que celle de résidence. La domiciliation conditionne l’accès à la santé : 55% des personnes ont des droits ouverts, à 92% l’AME. Ces taux varient fortement selon les territoires en fonction de l’accompagnement associatif, les expulsions répétées, l’arrivée plus ou moins récente des familles…

Ensuite, la partie sur la scolarisation reprend les résultats de l’enquête du CDERE sur les 12-18 ans, au taux de scolarisation de 47%, comparés aux 49% pour les 6-16 ans. Ces résultats sont déclinés selon les lieux, les âges et les sexes des enfants. Les auteurs se penchent sur les facteurs de (dé)scolarisation, alertant notamment sur la situation des enfants jamais scolarisés.

La dernière partie traite « des activités de survie à l’insertion professionnelle » : 45% (surtout les hommes) des enquêtés pratiquent la ferraille et 33% (surtout les femmes) la mendicité. Les personnes passent par une « période grise » entre leur arrivée et un éventuel accompagnement vers l’emploi. Cet accompagnement est tributaire d’un projet d’insertion, donc d’une coopération avec les pouvoirs publics, en particulier les maires, responsables de cette prise d’initiative.

En conclusion, les deux sociologues appellent à la prise en compte de la vie en bidonville dans le cadre de la crise du logement et de l’hébergement d’urgence plutôt que comme un mode de vie ou une culture spécifique aux « roms ». Cela implique de reconnaître leur existence et de distinguer les différents parcours des personnes qui y vivent pour appliquer des politiques publiques ajustées, en premier lieu la résorption des bidonvilles par une action concertée.